“Je respecte ton choix.”

Le choix. Vaste notion.

On pourrait parler ici du “choix libre et éclairé”, du déterminisme, de ce qu’en dit Spinoza. On pourrait gloser sur des pages et des pages sur ces notions infiniment complexes, avancer des hypothèses, des études, des théories, passer en revue toute la bibliographie en rapport.

Je rassure nombre d’entre vous, il n’en sera rien.

Au lieu de ça, je voudrais parler ici de cette phrase que la plupart des personnes transgenres, si ce n’est toutes, entendent au sujet de leur transition : “je respecte ton choix.”
Choisit-on d’être transgenre ? D’être cisgenre 1 ? Au fond, choisit-on d’être homme, femme ou autre ? Dans mon cas, la réponse est un non formel : je n’ai jamais choisi d’être une femme. Je le suis, cette vérité s’est imposée à moi comme une évidence ; les chances que cela soit le cas pour vous aussi sont extrêmement élevées. Il n’y donc nulle notion de choix ici.

Ce point éliminé, vient l’acceptation. Lorsque l’on se trouve être cisgenre, celle-ci semble on ne peut plus naturelle : tout le monde affirmant depuis votre naissance la même donnée vous concernant, donnée que vous approuvez, elle est de fait acceptée et non contestée. C’est simple, clair et net pour tout le monde.
Lorsque l’on se trouve être transgenre, la majorité de la société nie votre identité, au moins pendant un temps ; cependant, vous savez ce qu’il en est, au même titre que tout le monde. L’accepter pleinement est une autre paire de manches : la pression familiale, sociale peut être si forte que cette information est rejetée par la personne, plus ou moins consciemment, plus ou moins longtemps, ce qui entraîne plus ou moins de dégâts pouvant aller jusqu’au suicide dans les situations les plus difficiles. Cependant, en règle générale, l’évidence devient tellement forte que l’acceptation est impossible à éviter.

Et vient alors le dernier élément : la transition. Souvent d’abord sociale, elle peut ensuite – sans être automatique ou généralisable à toute personne transgenre – être accompagnée d’un traitement hormonal, d’une ou plusieurs opérations, ou de tout autre acte estimé nécessaire par la personne concernée. Ici, la notion devient enfin discutable ; précisément, il faudrait définir ce qu’est le choix en tant que tel, afin de dire s’il est possible. Mais j’ai promis, donc…
En revanche, essayons une comparaison avec une liberté individuelle communément admise : la liberté d’opinion, et son dérivé institutionnel : le droit de vote. Chaque personne a, dans un État de droit, la possibilité d’avoir et d’exprimer librement son opinion – sous certaines conditions restrictives selon les lois en vigueur, comme pour l’incitation à la haine, mais ce n’est pas ici le sujet. Lors des élections, nous pouvons exprimer ou non via un bulletin de vote ladite opinion, théoriquement sans contrainte. À l’instant de glisser, à l’abri de l’isoloir, le bulletin dans une enveloppe… A-t-on réellement le choix de ce qu’on y met ? Bien sûr, n’importe qui a la possibilité d’aller ou non voter, de laisser l’enveloppe vide, de mettre n’importe quel nom, valide ou non, dans l’urne… Mais est-ce là réellement un choix ? Une personne portant en son cœur une conviction trotskyste pourrait-elle choisir de voter Nicolas Sarkozy ? Si la réponse logique peut être oui, vient alors son corollaire : pourrait-t-elle le faire tout en se respectant ?
Vous voyez à présent, je suppose, où je veux en venir. Oui, effectuer une transition est un choix en soi ; mais il relève de tellement de ressentis intimes, de besoins impérieux, que nécessité fait force de loi. Le choix s’efface pour laisser place à l’intégrité, parfois avec une urgence effrayante autant pour soi-même que pour autrui ; et l’on se retrouve jusqu’à assister passivement à ses propres actions, ce qui est un sentiment des plus étranges.

Donc, chères personnes proches, alliées, ou simples connaissances : merci de votre volonté de respect, sincèrement. Elle est essentielle à notre bien-être, notre propre acceptation, notre épanouissement et notre vie sociale. Sachez simplement qu’en acceptant l’identité d’une personne transgenre, ce n’est pas un choix que vous approuvez ; c’est une personne, dans son ensemble et sa complexité.

1Cisgenre, cela signifie “en accord avec le genre assigné à la naissance”.

2 thoughts on ““Je respecte ton choix.”

  1. C’est “amusant” pour moi de lire cet article car hier j’ai eu un rdv avec une personne pour des trucs administratif, on en est venu a parler de ma transition et j’ai eu droit au “je respecte votre choix, c’est courageux”. Je n’ai pas pu m’empêcher de répondre qu’au fond, ce n’était pas un choix, et la personne a eu l’air d’avoir un peu de mal à comprendre, d’autant plus que je n’arrivais pas à trouver les mots justes pour lui expliquer. Bref, tout ça pour dire que je suis entièrement d’accord avec ton article.
    Perso, ça me surprends à chaque fois de constater que pour les autres, être trans est un choix, comme si on se réveillait un beau matin en se disant que “””changer de sexe””” ça doit être fun comme expérience.

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    1. C’est un sentiment perturbant, en effet ! Un peu comme si on nous disait : “ok, tu as les cheveux bruns, je respecte ton choix de pigmentation”. J’ai du mal à comprendre cette phrase, même si elle se veut – et souvent est, malgré une certaine maladresse – plutôt bienveillante.

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